Au commencement était la parole

Théâtre . Le laboratoire théâtral de Lalish, fondé par les Kurdes Shamal Amin et Nicar Hassib, siégeant en Autriche, effectue une tournée en Europe, puis au Japon, avec le spectacle Begining of Speech (Début de la parole), basé sur une recherche sur la voix.


Il ne s’agit pas d’une pièce de théâtre au vrai sens du terme. Le dialogue, le texte sont réduits à un amalgame de phrases en arabe, en anglais, en chinois et même en ancien kurde. Dans un décor sobre, un éclairage limité à quelques projecteurs et bougies, le spectacle commence. Deux femmes et un homme, assis au sein de la première rangée de spectateurs, lancent des youyous, des cris, fredonnent des mélopées de joie et de tristesse. Ensuite, ils montent sur scène pour jouer dans un cercle. Dans Beginnig of Speech (Début de la parole), il est question d’un rituel sacré, où les acteurs-chanteurs déploient différentes tonalités de la voix pour scander des mélodies. Le spectacle consiste en un travail de recherche sur la voix. « On a une expérience bien différente. Je l’intitule : la voix comme source. La voix source de mouvement, des événements, de création des relations entre les acteurs et le public. On utilise plusieurs techniques vocales en chantant et en interprétant Début de la parole. La voix, le ton, le chant ne servent pas de moyen d’articuler les scènes, ou d’approfondir l’acte dramatique, ou encore d’introduire des éléments inappropriés au théâtre. C’est une expérimentation des capacités insondées de la voix », explique Shamal Amin, metteur en scène du spectacle et un de ses protagonistes.

Il n’y a pas une histoire à raconter. Les trois comédiens ou chanteurs n’interprètent pas de caractères déterminés. Ils exaltent par leurs voix des mélodies et des airs émergeant de leurs corps et de leur âme. La voix est le moteur de chaque scène, de toute gestuelle qu’elle incorpore. Par son intermédiaire, le récepteur projette son histoire, fait sa propre interprétation de ces tons variés.

« Dans les récentes expériences du théâtre de par le monde, incluant le langage corporel et des éléments visuels, ainsi que la recherche de nouveaux modes d’expression, j’ai senti qu’on n’a pas exploré à fond la grande énergie de l’homme, et sa voix. En travaillant sur la voix, je m’adresse à l’homme en entier. Pratiquement, j’ai recours à toutes les sensations essentielles. Je module le mouvement du corps selon la tonalité de la voix et non selon une chorégraphie. A partir de là, prend place le visuel », explique ainsi Amin les structures fondamentales de son expérimentation au laboratoire théâtral de Lalish, qu’il a fondé avec Nicar Hassib, en 1998 à Vienne (Autriche), à la suite d’une recherche sur le concept de la culture du corps. Leur recherche porte sur les techniques pouvant permettre la formulation de nouvelles donnes sur les problématiques inhérentes au discours corporel dans l’espace et dans le temps. La voix est donc de mise. Chaque projet de recherche, chaque représentation évolue à travers plusieurs étapes de formation et de création différentes.
Début de la parole se situe, en fait, à sa troisième phase d’évolution : « Les mêmes matières changent d’une étape à l’autre, additionnant d’autres nouveautés. Cela implique un changement au niveau du mouvement et de l’espace. Notre troupe est un laboratoire en quête permanente d’innovation », indique le metteur en scène. Après une représentation réussie en Autriche, en Egypte, lors du Festival du théâtre expérimental, et à Tunis, dans le cadre des journées théâtrales de Carthage, le laboratoire de Lalish est actuellement en tournée en Europe. Amin ajoute : « On évolue de plus en plus. Par exemple, la représentation donnée à Tunis diffère de celle donnée au Caire lors du Festival expérimental. Le spectacle a changé au niveau de l’espace, de la voix et de la gestuelle du corps ».


L’expérience du laboratoire de Lalish fait des mélodies chantées et de l’échelonnement des tons vocaux le principe de sa communication avec le public, détaché de tout texte conçu au préalable. La musique, qu’exhale la voix humaine, s’avère être plus touchante. « Dans le spectacle, l’acteur-chanteur déploie une certaine liberté instinctive, sans limiter celle de son pair participant à cette expérience. Il s’agit de donner lieu à un jeu d’intonation très subtil. On ne joue ni avec l’éclairage ni avec les habits. On s’intéresse uniquement à l’homme. Le cercle dans lequel on joue, encadré par le public, représente une continuité. Une énergie dont participent les acteurs en corrélation avec le public », explique Amin. En effet, le public sort du spectacle en gardant le souvenir d’un théâtre différent. N’est-ce pas là la concrétisation de l’objectif de Shamal Amin de rompre avec le théâtre traditionnel du passé et du présent ?.


May Sélim

Al Ahram/Arts

2006