XIIes Journées Théâtrales de Carthage
XIIes Journées Théâtrales de Carthage
Au Carré d’Art - The beginning of speech du Lalish Theaterlabor (Autriche)
C’est émouvant!
Le décor est très simple : une table, un chandelier, un petit banc, un tabouret et un récipient en cuivre argenté au milieu d’un tapis blanc. Deux femmes en rouge et noir, les pieds nus, sont assises parmi les spectateurs et de temps en temps, elles font des signes aux retardataires leur indiquant des places vides.
Humm ! Cela sent l’expérimental !
L’homme en noir annonce à ses comédiennes le commencement du spectacle dans quelques minutes et prend place à son tour parmi le public.
Ce dernier, se sentant comme pris en otage, se fait tout doux en gardant le silence.
Communiquer
autrement
Au bout de trois minutes, le silence est rompu par la voix caressante de la comédienne aux traits asiatiques.
L’homme saisit la dernière note et se lance à son tour dans le chant…
Mais avec quelle langue chantent-ils ?
A part la première chanson en japonais ou en chinois (de toutes les façons, on est incapable de faire la différence), tout le reste est dans une langue inconnue qui pourrait ressembler à l’hébreu.
Mais peu importe ce qu’ils disent, l’important c’est la manière dont ils le disent.
Ces trois personnes communiquent par la voix qui exprime un état interne et qui dicte au corps son attitude.
La chanson est source d’action, elle n’est pas uniquement chantée mais «faite» comme un comportement.
Il n’y a pas de personnages interprétés ou campés, il y a deux femmes et un homme et une synergie formidable.
Il y a de l’émotion que l’on ressent en les écoutant et en voyant leurs corps élégants, vibrer au son de leurs voix.
Et voilà l’homme en noir qui nous surprend par des phrases dites en arabe.
Car du texte, il y en a, mais dit et pas chanté.
Ce sont des extraits courts de Gilgamesh, d’Adonis ou même du Coran, mais assemblées, ces phrases n’ont aucun sens sauf celui du ton.
Et dans la communication, n’est-ce pas le ton et la manière qui comptent ?
Pourquoi se cacher derrière les mots pour exprimer ses maux et sa joie ?
Pourquoi ne pas chanter?
Imaginez le monde en train de célébrer ses émotions…
The biginning of speech ou Le début du langage s’avère être la troisième version d’un travail de recherche sur une autre manière de communiquer au théâtre.
Cette expérience est basée sur l’apprentissage des techniques inspirées de différentes cultures de chant.
C’est pourquoi, par moments, ces chants et ces mélodies nous paraissent familières.
Ceux qui nous ont fait le plaisir de découvrir ce genre de travail ne s’appellent pas des comédiens, des auteurs ou des metteurs en scène, ils s’appellent "celebrators".
Il s’agit d’une reconceptualisation des rôles au théâtre.
Ils célèbrent l’acte de la représentation, ou le jeu théâtral, au lieu de l’incarner.
Plutôt que de se mettre dans la peau d’un personnage, ils se mettent en contact avec leur propre mémoire émotionnelle et la situation se crée, ici et maintenant.
Le risque, c’est les remontées émotionnelles et la Singapourienne en a eu pendant un moment. Ses partenaires lui ont communiqué un état interne séparateur. C’est de la gestion des émotions.
Loin de la dramaturgie, du code et des conventions, ce travail est une recherche expérimentale de l’expression du corps, ce système très complexe, à travers la voix comme langage.
Shamal Amin en est l’expert. Il est d’origine irakienne et vit à Vienne où il a fondé le Centre de recherche pour le théâtre et la culture de la performance.
Souad BEN SLIMANE
La Presse